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                                    [La compagnie de Lazare - 63 Automne - %u00ae 2024]Un ictusCela fait maintenant plus d%u2019une semaine que je me prom%u00e8ne avec mon amie H%u00e9l%u00e8ne dans les rues de Madrid.Ce matin du 14 mai, avant de quitter le parc du Retiro, au c%u0153ur de la ville, o%u00f9 nous venons de passer une heure d%u00e9licieuse, je d%u00e9cide de faire une derni%u00e8re aquarelle %u00e0 proximit%u00e9 de la grande verri%u00e8re, le fameux %u00ab Palacio de Cristal %u00bb.Il fait un temps magnifique et je me laisse absorber par mon travail avec bonheur.Quelques minutes plus tard, au moment o%u00f9 je me penche machinalement vers mon sac pour changer de pinceau, je r%u00e9alise que mon sac, justement, que je croyais tenir entre mes jambes%u2026 a disparu !Stup%u00e9faction.Des ann%u00e9es plus tard, je ne m%u2019explique toujours pas comment ce vol a %u00e9t%u00e9 possible. Ni H%u00e9l%u00e8ne ni moi n%u2019avons rien vu. Nous sommes, %u00e0 cet instant, quasiment seuls et, au moment du vol, compl%u00e8tement seuls ! Personne %u00e0 la ronde mais aucun doute pourtant : quelqu%u2019un a bel et bien d%u00e9rob%u00e9 le sac.%u00c9videmment, il contenait un peu d%u2019argent, quelques papiers officiels, mais j%u2019y gardais surtout pr%u00e9cieusement le volume en cours de mon %u00ab journal de bord %u00bb que je tiens sans interruption depuis plus de 30 ans.Un drame donc.Presque machinalement, nous entreprenons de fouiller le moindre bosquet, la moindre poubelle, en esp%u00e9rant que le voleur (ou la voleuse%u2026) s%u2019en sera d%u00e9barrass%u00e9 apr%u00e8s avoir simplement r%u00e9cup%u00e9r%u00e9 l%u2019argent liquide. Mais nous ne trouverons rien. Si ce n%u2019est une ravissante madril%u00e8ne qui a remarqu%u00e9 notre d%u00e9tresse et vient spontan%u00e9ment nous aider %u00e0 fouiller quelques poubelles suppl%u00e9mentaires. Avant de nous donner l%u2019adresse du commissariat le plus proche.Pour ajouter %u00e0 mon trouble, la Madril%u00e8ne en question s%u2019appelle Elena (comme mon amie H%u00e9l%u00e8ne%u2026) et elle est ravissante. En temps normal, je lui aurais probablement propos%u00e9 de la photographier, mais ce matin-l%u00e0 le c%u0153ur n%u2019y est vraiment pas. Je me console d%u2019ailleurs en me disant qu%u2019en me volant mon sac, on m%u2019a aussi vol%u00e9%u2026 mon appareil photo !Depuis ce jour, je ne cesserai, bien s%u00fbr, de penser %u00e0 ce journal, v%u00e9ritable b%u00e9quille de ma m%u00e9moire. Et v%u00e9ritable obsession.Un ami m%u00e9decin m%u2019apprendra plus tard qu%u2019en sciences, une perte de m%u00e9moire sur une courte p%u00e9riode porte ce nom bien pr%u00e9cis : ictus.Bien malgr%u00e9 moi, avec le temps, je me remettrai de cet %u00ab ictus litt%u00e9raire %u00bb. Pas de ictus visuel en revanche, puisqu%u2019il me reste de cet instant violent une petite aquarelle inachev%u00e9e et, surtout, le souvenir tr%u00e8s vivace de cette belle espagnole dont je ne saurais plus dire, du coup, si elle %u00e9tait une rencontre de fortune ou d%u2019infortune.06- EspagneDerni%u00e8re aquarelle sur mon carnet avant le vol de mon sac %u00a9 Christophe Labarde
                                
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