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                                    [La compagnie de Lazare - 63 Automne - %u00ae 2024]L%u2019inconnue de la ligne 1Me voici sur la ligne 1. Destination le Marais, au c%u0153ur de Paris.Ce sont les derni%u00e8res heures d%u2019une exposition, %u00e0 la Maison europ%u00e9enne de la photographie, que j%u2019aime tant, d%u2019un photographe ukrainien dont on m%u2019a dit le plus grand bien. C%u2019est donc maintenant ou jamais.%u00c0 peine le temps de me r%u00e9jouir d%u2019avoir trouv%u00e9 une place assise qu%u2019une femme %u00e0 la laideur repoussante et au regard agressif vient s%u2019asseoir en face de moi. Elle semble d%u00e9cid%u00e9e %u00e0 me fixer du regard durant tout le trajet. Comme souvent, je ferme donc les yeux et me r%u00e9fugie dans mes r%u00eaveries, %u00e0 peine berc%u00e9 par le haut parleur qui %u00e9gr%u00e8ne le nom des diff%u00e9rentes stations.%u00c0 l%u2019annonce de ma destination, %u00ab Saint-Paul %u00bb, je sursaute litt%u00e9ralement, encore %u00e0 moiti%u00e9 endormi et me pr%u00e9pare %u00e0 me lever, presque m%u00e9caniquement.J%u2019imagine alors devoir affronter une derni%u00e8re fois le regard insupportable de ma voisine d%u2019en face mais au moment de rouvrir les yeux, je r%u00e9alise qu%u2019est d%u00e9sormais assise en face de moi%u2026 une magnifique jeune fille !Fran%u00e7aise ? Irlandaise ? Peu importe. C%u2019est peu dire que je suis %u00e9bloui par cette beaut%u00e9 peu banale : un visage %u00e9clabouss%u00e9 de taches de rousseur, de gaiet%u00e9, de soleil, une bouche immense et un sourire presque coquin, irr%u00e9sistible.De mon c%u00f4t%u00e9, je me revois encore esquisser une sorte de rictus maladroit, m%u00e9lange de surprise et d%u2019admiration. La belle inconnue s%u2019amuse visiblement de ma propre surprise.Je n%u2019ai alors que quelques secondes pour d%u00e9cider si je prends le risque de l%u2019aborder mais la sonnerie de la rame retentit d%u00e9j%u00e0. Presque sans r%u00e9fl%u00e9chir, je me l%u00e8ve et me dirige vers la sortie. Juste %u00e0 temps car les portes de la rame claquent bruyamment derri%u00e8re moi. En me retournant, je vois que ma nouvelle voisine n%u2019a cess%u00e9 de me sourire, ce qui ajoute %u00e9videmment %u00e0 la d%u00e9ception d%u2019avoir peut-%u00eatre pris la mauvaise d%u00e9cision : celle de ne pas tenter ma chance.Aujourd%u2019hui, il ne me reste aucun souvenir pr%u00e9cis de cette fameuse exposition, que j%u2019ai finalement r%u00e9ussi %u00e0 voir avant fermeture. Il me reste surtout l%u2019image, ind%u00e9l%u00e9bile, cette apparition aussi inattendue que solaire.Je me console en me disant qu%u2019un jour cette image reconstitu%u00e9e sera peut-%u00eatre expos%u00e9e elle aussi %u00e0 la Maison Europ%u00e9enne de la Photographie. Qui sait ?Et que ma belle inconnue non seulement se reconna%u00eetra mais se souviendra alors, en lisant ces lignes, de notre %u00ab rencontre %u00bb de quelques instants. Qui sait ?07- FranceDe retour de l%u2019exposition, cette fois-ci personne ne s%u2019assoit en face de moi %u00a9 Christophe Labarde
                                
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