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[La compagnie de Lazare - 63 Automne - %u00ae 2024]Litt%u00e9ratureIl me pla%u00eet de relater %u00e0 nouveau cette petite histoire de village qui a berc%u00e9 mon enfance et qui berce encore mes vieux jours.Elle n%u2019a pas pris une ride. Mon grand-p%u00e8re, que j%u2019ai bien connu %u00e0 la fin de sa vie, %u00e9tait un B%u00e9arnais typique. Tellement typique que ses amis le surnommaient Cadettou, du nom du %u00ab%u00a0papy%u00a0b%u00e9arnais b%u00e9arnais%u00a0%u00bb embl%u00e9matique cr%u00e9%u00e9 par %u00bb embl%u00e9matique cr%u00e9%u00e9 par le dessinateur Gabard, dont il avait toutes les caract%u00e9ristiques morales et physiques : pauvre, fier, malin, m%u00e9fiant, la silhouette un peu d%u00e9gingand%u00e9e, les jambes arqu%u00e9es et appuy%u00e9es alternativement sur un grand parapluie ou sur un b%u00e2ton de berger, le nez pro%u00e9minent et, par tous les temps, un b%u00e9ret noir viss%u00e9 sur la t%u00eate, qu%u2019il n%u2019enlevait que pour dormir. Et encore%u2026Un jour, donc, le Diable en personne se pr%u00e9senta %u00e0 mon grand-p%u00e8re. Ce fut sous la forme anodine et avenante d%u2019un p%u00e9lerin des chemins de saint Jacques.Cette apparition eut lieu un peu %u00e0 l%u2019ext%u00e9rieur de notre village, sur le petit chemin de %u00ab%u00a0La Roche qui pleure%u00a0%u00bb, une petite cascade locale, devant une haie de vieux buis noueux avec lesquels notre famille confectionnait, de g%u00e9n%u00e9ration en g%u00e9n%u00e9ration, des b%u00e2tons de marche.Ce jour-l%u00e0, le Diable demanda un renseignement anodin pour rejoindre le chemin principal qui longe la rivi%u00e8re. Mon grand-p%u00e8re, qui n%u2019avait jamais quitt%u00e9 sa vall%u00e9e natale et qui la connaissait donc comme sa poche, n%u2019e%u00fbt aucun mal %u00e0 le guider. Le Diable le remercia poliment et lui fit une proposition inattendue lui fit une proposition inattendue%u00a0: %u00ab%u00a0Merci pour tes indications, qui me sont pr%u00e9cieuses. Dis-moi ce qui te ferait plaisir et je serai heureux de te l%u2019offrir en retour.%u00a0%u00bb %u00a0Il n%u2019en fallait pas plus pour %u00e9veiller la m%u00e9fiance. Il faut dire que dans ces vall%u00e9es recul%u00e9es, %u00ab l%u00e9es, %u00ab%u00a0l%u2019%u00c9tranger l%u2019%u00c9tranger%u00a0%u00bb - entendez par l%u00e0 %u00bb - entendez par l%u00e0%u00a0 : %u00ab%u00a0Celui que l%u2019on voit pour la premi%u00e8re fois et qui ne ressemble %u00e0 personne du coin%u00a0%u00bb -%u00a0 attire par nature toutes les suspicions. Et cet %u00e9tranger-l%u00e0, a fortiori trop bien mis, trop poli et surtout trop g%u00e9n%u00e9reux, ne pouvait d%u00e9clencher qu%u2019une forte suspicion chez un homme aussi m%u00e9fiant que mon grand-p%u00e8re.Le Diable s%u2019en rendit compte. Il ne se laissa pas d%u00e9monter pour autant.%u2014 J%u2019imagine bien ce que tu imagines ! Mais figure-toi que je suis d%u2019abord un homme de parole. Tu peux me croire.%u2014 Eh bien figure-toi que je ne te crois pas, lui r%u00e9pondit sans r%u00e9fl%u00e9chir le grandp%u00e8re, incr%u00e9dule.Apr%u00e8s avoir d%u00e9visag%u00e9 l%u2019inconnu des pieds %u00e0 la t%u00eate, de haut en bas puis de bas en haut, il reprit, s%u00fbr de lui :%u00a0