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[La compagnie de Lazare - 63 Automne - %u00ae 2024]15- RussieBons baisers de RussiePendant des ann%u00e9es, j%u2019ai %u00ab couvert %u00bb les pays de l%u2019Est pour le service %u00e9conomique du Figaro.%u00ab L%u2019Est %u00bb, comme on disait entre nous du temps de l%u2019U.R.S.S., %u00e9tait tellement vaste que nous nous %u00e9tions partag%u00e9 le territoire en deux : l%u2019un de mes coll%u00e8gues suivait la Russie %u00e0 proprement parler, et moi tout le reste, des Pays baltes %u00e0 la Pologne en passant par la Hongrie, l%u2019Allemagne de l%u2019Est ou la Tch%u00e9coslovaquie.Des ann%u00e9es plus tard, en 1999 ( j%u2019avais alors quitt%u00e9 le journal depuis longtemps) me prend l%u2019envie d%u2019aller f%u00eater, symboliquement, seul et %u00e0 ma mani%u00e8re, les 10 ans de la chute du Mur.Me voici donc %u00e0 Moscou pour la premi%u00e8re fois de ma vie, o%u00f9 il neige sans interruption et o%u00f9 il fait un froid glacial.Ce 8 f%u00e9vrier 1999, ma cousine Claire, russophone et russophile qui m%u2019h%u00e9berge dans la capitale sovi%u00e9tique, m%u2019accompagne sur la Place Rouge o%u00f9 il fait -14 degr%u00e9s. %u00c0 notre grande d%u00e9ception, le mausol%u00e9e de L%u00e9nine est ferm%u00e9 %u00ab pour entretien %u00bb. Tout un symbole !C%u2019est alors que, juste au pied du mausol%u00e9e, surgie d%u2019on ne sait trop o%u00f9, une belle inconnue aux yeux gris et au visage glacial, me demande, dans un anglais approximatif et rocailleux, si elle peut me prendre en photo. Sans attendre ma r%u00e9ponse, elle prend un premier clich%u00e9, puis un second%u2026 et s%u2019%u00e9loigne sans un mot.Elle ne m%u2019a m%u00eame pas laiss%u00e9 le temps de r%u00e9agir ! Ma cousine s%u2019en amuse : %u00ab Si tu en doutais encore, tu es probablement surveill%u00e9%u2026%u00bbRien d%u2019%u00e9tonnant en v%u00e9rit%u00e9. Apr%u00e8s tant d%u2019ann%u00e9es de reportages et de contacts %u00e0 l%u2019Est, j%u2019ai, comme la plupart de mes coll%u00e8gues journalistes, r%u00e9guli%u00e8rement eu affaire avec les services secrets du bloc de l%u2019Est en g%u00e9n%u00e9ral et de Russie en particulier. Et bien entendu, je rendais toujours compte aux services fran%u00e7ais de la moindre tentative de d%u00e9stabilisation.Tr%u00e8s r%u00e9cemment, j%u2019ai retrouv%u00e9 l%u2019un de ces anciens %u00ab correspondants %u00bb auquel j%u2019ai racont%u00e9 cette vieille p%u00e9rip%u00e9tie de la Place Rouge. Amus%u00e9 lui aussi il m%u2019a propos%u00e9 de jeter un coup d%u2018%u0153il dans %u00ab les archives %u00bb. De fait, quelques semaines plus tard, il m%u2019a montr%u00e9 une photo, dont il n%u2019avait pas le droit de me laisser de copie et que j%u2019ai donc reconstitu%u00e9e elle aussi car c%u2019%u00e9tait, sans aucun doute possible, l%u2019une des images prises par la belle inconnue.Sur le moment, j%u2019ai voulu en savoir plus : puisqu%u2019il avait retrouv%u00e9 la photo, probablement pouvaitil, dans la foul%u00e9e, retrouver la photographe ? %u00ab Disons qu%u2019elle a eu son heure de gloire sous le matricule 77. Pour le reste, je pense qu%u2019il vaut mieux en rester l%u00e0. Ce sera mieux pour tout le monde. %u00bbJ%u2019en suis donc rest%u00e9 l%u00e0.Reconstitution de mon portrait, pris par le %u00ab matricule 77 %u00bb sur la Place Rouge le 8 f%u00e9vrier 1999 %u00a9 Christophe Labarde