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                                    [La compagnie de Lazare - 63 Automne - %u00ae 2024]Litt%u00e9ratureAvec les ann%u00e9es s%u2019ajouta %u00e0 notre bande en perp%u00e9tuelle expansion des Parisiens, des B%u00e9arnais, des Anglais, des Am%u00e9ricains, et m%u00eame une paire de Grecques. Nous avons surtout d%u00e9couvert %u00ab les N%u00eemois %u00bb comme jadis un G%u00e9nois les Am%u00e9rindiens. Leurs chemises camarguaises sont parfois blessantes pour les yeux, leur syntaxe prend des libert%u00e9s pr%u00e9occupantes pour notre civilisation, ils boivent du %u00ab riflon %u00bb (du Ricard) sans jamais forcer sur l%u2019eau, mais l%u00e0 o%u00f9 ils nous d%u00e9passeront toujours, c%u2019est dans la gaiet%u00e9. Une gaiet%u00e9 g%u00e9n%u00e9reuse. Parce que la gaiet%u00e9, %u00e7a ne peut venir que du c%u0153ur, ce crat%u00e8re du caract%u00e8re. Comme des barques %u00e0 contre-courantJe voulais r%u00e9sister %u00e0 cette tentation fitzg%u00e9raldienne qui consiste %u00e0 m%u00e9langer, comme dans un shaker, le Gin %u00e0 la m%u00e9lancolie, le vin aux f%u00ealures, la f%u00eate avec l%u2019effondrement. Je voulais, et puis je n%u2019y arrive pas. Oui le pass%u00e9 dure longtemps. Oui nous luttons en vain, comme des barques %u00e0 contre-courant, pour ne pas %u00eatre refoul%u00e9s vers notre point de d%u00e9part. Et oui, %u00ab c%u2019est moi, la Mort, qui mets l%u2019automne apr%u00e8s l%u2019%u00e9t%u00e9 %u00bb. (4)Les f%u00eates ont continu%u00e9. Elles continuent. Certains de nos amis ne sont plus l%u00e0. Dans la f%u00eate plus qu%u2019ailleurs, les disparus nous manquent. Cependant c%u2019est la d%u00e9fection des vivants qui me d%u00e9senchante le plus. Ainsi se d%u00e9lie-t-on de l%u2019amiti%u00e9 en laissant derri%u00e8re soi un univers inachev%u00e9 : c%u2019est humain, c%u2019est bourgeois, c%u2019est dommage.Ces absents : auraient-ils eu honte de nos f%u00eates ? Leur paraissent-elles vulgaires, ringardes ? Ma foi, c%u2019est probable. Elles sont ce qu%u2019elles sont, et elles ne sont que %u00e7a. Les f%u00e9rias, un %u00ab %u00e9v%u00e8nement culturel %u00bb ? Allons, %u00e0 d%u2019autres. Quel Office du tourisme d%u2019Aquitaine ou d%u2019Occitanie, quel tartuffe de la d%u00e9mocratie locale, oserait en faire la promotion comme s%u2019il s%u2019agissait de la Mostra de Venise ? En 2011, j%u2019ai invit%u00e9 un ami journaliste du New York Magazine, Geoffrey Gray, %u00e0 m%u2019accompagner %u00e0 Vic-Fezensac. Le papier qu%u2019il en fit %u00e9voquait un %u00ab Bullfighting Woodstock %u00bb : la v%u00e9rit%u00e9 v%u00e9cue approche la v%u00e9rit%u00e9.Poursuivons notre exercice de franchise. %u00c0 partir de la fin des ann%u00e9es 1980, les ferias fran%u00e7aises ont copi%u00e9 les f%u00eates navarraises : en reprenant la fameuse tenue rouge et blanche, en limitant leurs perspectives %u00e0 une saoulerie bon march%u00e9. Regardez donc les images, les photographies, qui nous parviennent des lointaines d%u00e9cennies. J%u2019ai eu la chance, il y a peu, de voir un documentaire sur le s%u00e9jour de Paco Ojeda %u00e0 Dax en 1984 (5). Cette foule qui se presse autour de lui, alors que le torero avance en habit de lumi%u00e8re vers les ar%u00e8nes, cette foule courtoise, sur son trente-et-un, si elle est effectivement d%u2019un autre temps, semble surtout venir d%u2019un autre pays. D%u2019un autre continent.Aucune loi ne d%u00e9fend la version officielle des choses, mais toutes vous punissent du moindre pr%u00e9judice port%u00e9 aux apparences. Aussi vais-je transgresser ces lois en pr%u00e9tendant que si %u00ab nos %u00bb f%u00eates m%u00e9ritent d%u2019%u00eatre courues, si elles m%u00e9ritent de durer, ce n%u2019est pas pour les fausses raisons identitaires ou culturelles ou traditionnelles qu%u2019on lira sur les d%u00e9pliants.(4) Saint-Paul-Roux(5) Ombres et lumi%u00e8res, r%u00e9alis%u00e9 par Paule Zajdermann et Yves Hart%u00e9.
                                
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